Je suis désolée ma belle. Ça fait quelques fois que j’essaie de t’en parler, que je t’envoie des signes sans que tu ne changes d’un iota. C’en est assez, je n’en peux plus de vivre comme ça. Il y a des journées où j’ai l’impression que tu m’aimes, que tu me respectes, que tu tiens à moi. Puis, il y a d’autres jours où j’ai l’impression que tu me prends pour acquis. L’autre soir, je n’en pouvais plus. J’étouffais. Je suis sortie prendre une bière et c’est là que je l’ai rencontré. Corona… Il s’appelle Coronavirus. Un vrai tough des toughs qui fait peur et qui fesse fort. Comme un chef de gang de rue qui prend possession du territoire. Depuis quelques semaines, je me promène bras dessus, bras dessous avec lui, sans pudeur, devant toi. Et ça ne te fait pas chier, ça te fait peur. Peur de voir que sans moi, tu ne vaux pas grand-chose.
Mars 2020. Depuis quelques jours, tu capotes parce que ton monde r’vire à l’envers. Tu constates que tu risques de perdre tout ce que toi et moi, on a bâti. Rapidement en plus. Tu n’as rien vu venir. Toutefois, depuis que je date Coronavirus, tu as l’impression que je te laisse tomber, que tu perds le contrôle et tu paniques, je le sens. Tellement, que le soir en silence, tu t’es presque remise à prier pour que j’arrête de te faire souffrir. Les « j’peux pas croire » et les « j’aurais donc dû » rebondissent sans cesse dans ta tête. Tu te demandes bien ce que tu as fait de si pire pour mériter ça.
M’entends-tu?
Je sais que tu m’entendais ces dernières années quand mon désarroi se traduisait en tremblements de plus en plus fréquents, quand je faisais d’immenses vagues pour ce que tu juges être « un rien », quand ma colère s’entendait tel un ouragan. La vie va si vite, la routine est si confortable et le changement, c’est tellement d’ouvrage. Je te comprends. Tu sais, je t’aime. Je t’aime infiniment plus que Coronavirus. Je donnerais tout pour toi. J’ai essayé de te faire réaliser à quel point toi et moi on forme une paire du tonnerre quand on prend le temps de s’aimer à tout vent.
Je te le dis, j’ai essayé de te communiquer tout ça, mais tu as fait semblant de ne rien entendre. Tu te disais que je serais là encore pour longtemps et tu n’as rien fait. Comme si nos problèmes n’existaient pas. Quand on pousse toujours la poussière en dessous du tapis, à un moment donné, on ne peut plus nier, les minous gris dépassent à ras bord… C’est peut-être ça qui est arrivé et qui m’a poussée à me pavaner avec Coronavirus… Ça a débordé, ça m’a remonté dans la face et maintenant, j’étouffe. Comme pour bien des couples, c’est une accumulation de petites choses qui m’a mise à boutte…
Le temps passé ensemble
Je n’en peux plus de te voir courir après ta queue. Le matin, tu ne prends même pas le temps de me regarder, tu ne t’arrêtes plus pour sentir mon parfum. L’odeur de la rosée, tu t’en souviens? Respire… Sur l’heure du dîner, tu sortais pour venir me rejoindre… Maintenant, tu manges sur le coin du bureau, ta job te trotte dans la tête à longueur de journée et tu ne penses qu’à performer. Tu n’as jamais compris que je voulais que tu ralentisses, que tu viennes humer chacun de mes effluves, que tu me dises que je suis belle comme le jour. Aujourd’hui, tu constates que Coronavirus est puissant, que c’est sa rue. Tu n’oses même plus sortir de chez toi. Peut-être que si tu t’étais arrêtée pour me dire: « maudit que je suis chanceuse de t’avoir », on n’en serait pas rendu là.
J’ai aussi essayé de te faire comprendre que je suis écœurée de te voir passer ton temps, les yeux rivés sur un écran, avec tes cinq cent trente-quatre amis qui habitent tous trop loin à ton goût. Puis, quand tu as fini de jaser avec eux, tu mets tes écouteurs et tu regardes le prochain épisode de ta série. On vit sur le même lopin… C’est triste, mais je te sentais tellement loin. Pourtant, moi je suis là le soir, tout près, à attendre que tu me pointes la Grande Ourse et qu’ensemble, on compte les étoiles. Tu n’as même pas à recharger mes batteries et je t’offre tout ce que je suis. C’est gratuit. Te souviens-tu quand on était jeune, avant que Coronavirus s’immisce dans nos vies, tu t’allongeais sur moi en mangeant un brin de gazon. On n’avait pas besoin d’écouteurs. Ensemble, on écoutait les criquets.
Ton désir d’éphémère
Je n’ai jamais réussi à te faire comprendre que tu n’as pas besoin de toutes ces fringues et de tous ces escarpins pour que je te trouve belle. Pourquoi est-ce si important que tu possèdes le dernier modèle de cellulaire pour me parler? Ton regard, ta tête, ton coeur… C’est parfait pour me jaser. Tu rêves du char de l’année, d’une maison plus grande, du petit « plus encore » qui d’ici quelques utilisations ne laissera comme souvenir que son nom sur une facture. Chaque fois que tu sors ton argent de plastique pour rien, je souffre un peu plus de ton envie d’éphémère. Maintenant que je flirte avec Coronavirus, le tough des toughs, tu te rends bien compte qu’il peut fesser si fort que tout ça, ça ne compte plus. Tu en trembles presque, car tu réalises que sans moi, tout ça peut rapidement partir en fumée.
Et puis les petits… Les petits qu’on charrie à droite puis à gauche, d’un aréna à l’autre. On trouve donc que c’est compliqué d’organiser tout ça dans l’agenda. Pourtant, en arrivant à la maison, quand ils te demandent pour simplement aller jouer dehors, tu as d’autres priorités ou tu es trop fatiguée. Il fallait peut-être que tu sois prise dans les griffes de Coronavirus pour réaliser que passer du temps avec les petits, c’est si simple… Pourquoi m’ignores-tu autant quand je suis prête à te supporter là-dedans? Quand je suis là pour t’aider à décompresser, à t’énergiser… J’ai tout pour amuser les petits, les stimuler, les émerveiller … mais tu ne m’en donnes pas la chance. Tu laisses toujours la porte fermée.
On vit tous sur le même lopin
Et tant qu’à parler de porte, combien de fois t’ai-je demandé d’aller cogner chez le voisin? Il marche le dos recourbé, il n’a pas l’air en super santé. Tu ne lui as jamais parlé et pourtant on partage tous le même peuplier. Il aurait fallu lui parler pour savoir que lorsque j’envoie la neige sur son terrain, ça lui cause des soucis. Malheureusement, tu ne connais pas son nom pour le saluer et lui offrir un coup de main quand il revient de l’épicerie. Peut-être que cette fois-ci, si tu te sens seule sans moi, tu auras envie de sa compagnie et c’est quand la lumière devant sa porte flashera le soir à huit heures et demie que tu le sauras près de toi. Ça prendra une urgence de solidarité pour faire la guerre à Coronavirus et te faire apprécier la force d’une communauté.
Une claque au visage
Corona… Il s’appelle Coronavirus. Un vrai tough des toughs qui fait peur et qui fesse fort. Comme un chef de gang de rue qui prend possession du territoire. Je ne l’aime pas, mais je le laisse faire ses ravages. Je le laisse te donner une bonne claque au visage pour te faire réagir une fois pour toutes. Depuis que je me suis acoquinée avec lui, ça te rentre dedans tout ça. C’est plate que ça te prenne ça pour comprendre qu’on ne peut pas se passer l’une de l’autre. Ça te fait réfléchir…
Je t’aime encore
Je te le dis ma belle, je t’aime encore. Fort. Ce n’est pas trop peu trop tard. On se donne-tu une seconde chance? Quand je te parle ou que je t’envoie des signes, j’aimerais ça que tu m’écoutes et que tu fasses attention à moi. S’il te plaît, ne me prends pas pour acquis. Ça va prendre quelque temps et beaucoup d’efforts, mais Coronavirus, on va l’éliminer. On va s’ajuster et on va faire ce qu’il faut pour qu’il ne se pointe plus. Ensemble, toi et moi, on va y arriver.
C’est drôle, depuis quelques jours, j’ai l’impression que tu me zieutes à nouveau avec une étincelle de soudaine gratitude dans les yeux. Je suis la première chose que tu regardes le matin et t’as même hâte de venir me retrouver. Tu viendras marcher dans les rues vides cet après-midi, mais en fermant tes yeux face au soleil, tu te sentiras remplie. C’est fou! Même à un mètre de distance, tu ne te seras jamais sentie aussi proche de moi.
Alors, si tu me promets de faire des efforts, en échange je te fais la promesse de t’offrir tout ce que j’ai de plus beau, tout ce que j’ai de meilleur. J’ai confiance. La pluie cesse tranquillement. Viens qu’on aille compter ensemble les arcs-en-ciel qui font sourire dans la fenêtre des voisins. Je te promets que « ça va bien aller ».
Je te pardonne. Relève tes manches. Je nous donne une seconde chance.
Dame nature alias la Planète xx
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Pour l’encourager personnellement et en savoir un peu plus son premier roman, L’écho du canyon, cliquez ici ou ici. P.S. Ne vous fiez surtout pas à la couverture; le livre est hyper intéressant.
Révision par Annie Fournier