T’es belle telle quelle, ma fille!

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Ma fille se tient devant le miroir, les épaules recourbées. Elle reste silencieuse. Le regard qu’elle pose sur elle est sûrement trouble… Les larmes vacillent dans ses yeux. Je la regarde du coin de l’oeil et je me revois à son âge. Je comprends tellement ce qu’elle ressent.  La perception qu’elle a de son image est distordue. Pourtant, elle est belle. Très belle. J’ai envie de la serrer dans mes bras, de lui promettre qu’un jour, elle va s’aimer, telle quelle, mais je ne peux pas. Encore aujourd’hui, il m’arrive de revivre ce combat contre les standards de beauté.  Je suis bien mal placée pour lui en parler. Certains jours, c’est à peine si j’ose me regarder. Et pourtant, il ne suffit parfois que d’un simple « t’es belle » pour que je relève le menton et que je morde dans ma journée…

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Crédit photo : Pixabay

En santé? Oui, je ne suis ni trop grosse ni trop petite. Mon médecin me l’a confirmé. J’ai un poids santé, mais que j’aurais donc aimé qu’il me dise que je suis dans mon poids beauté. J’ai l’impression que ça ne sera jamais assez.  Assez mince, assez ferme, assez bronzée, les cuisses assez lisses, les ridules assez minuscules, les cheveux assez soyeux. Mais je ne le dis pas. Devant les autres, je me tiens droite, je souris, je m’affirme. « Mon Dieu qu’elle a donc une belle confiance en elle! », disent mes collègues à mon sujet, et il arrive qu’on me lance un gentil « tu rayonnes ».  Aucun doute, ça met du soleil dans ma journée.

« Monkey see, monkey do »… Comment espérer que ma fille se trouve belle alors que moi, en cachette, je me compare comme elle et que je me critique parfois à en oublier l’essentiel. Comme mère, je martèle ma fille de « t’es belle », de « tes yeux sont pétillants », de « ton sourire est magnifique », « t’es drôle, t’es intelligente… » et chaque fois, le message entre un peu plus, je le sens. Il en faudra toutefois davantage pour qu’elle y croie. Peux-tu m’aider? Ma fille est peut-être la personne assise à côté de toi… N’hésite pas, par un regard, un sourire ou à l’aide de quelques mots, fais-lui savoir qu’elle est belle. Elle gagnera tranquillement des poussières de confiance en elle. Oh! et tant qu’à y être, dis-moi que je suis, moi aussi, belle comme toi.

Je fais la morale à ma fille lorsqu’elle se compare aux jeunes déesses sur Instagram, je lui dis que ces beautés ne représentent pas la majorité. Mon ton est convaincant, mon sourire compatissant, mon regard rassurant. Placée tout juste derrière elle, mes mains sur ses épaules, je lui lance toutes les fleurs possibles, je sors mes pompons de cheerleader, je lui offre de boucler ses cheveux comme à Noël, car je sais que ce jour-là, elle se trouvait belle. Toute la famille s’était mise sur son trente-six et il neigeait des « t’es donc ben chic ». À travers cette tempête de compliments, il n’a pourtant suffi que d’un seul « maudit qu’t’es belle » pour que ma fille accepte avec assurance de prendre des clichés par dizaine. Habituellement, elle en aurait supprimé trois sur quatre après avoir zoomé sur chaque pixel pour trouver ce qu’elle juge être des imperfections. Au-delà de ses beaux cheveux bouclés, j’aimerais que ma fille comprenne que ce n’est SUR la tête que la beauté et l’estime de soi devraient prendre forme, mais bien DANS la tête. Mais ce n’est pas si simple…

À la guerre comme à la guerre, on a intérêt à bombarder la gent féminine de « je t’aime » et de « t’es belle » parce que le combat est loin d’être terminé. Le culte du corps parfait, les débats sur les chirurgies plastiques, les qualificatifs blessants et les « like » trop peu nombreux nous imposent des remises en question, nous noient sous la pression. Les revues présentent de plus en plus de femmes bien en chair, de diversité, mais la société est tout de même lente à évoluer. Elle est encore sévère en ce qui concerne les standards de beauté et mon Dieu que nous sommes rapides à juger! On entend régulièrement « 40 is the new 30 » et on s’en réjouit! Mais cette phrase qui semble être flatteuse n’est-elle pas plutôt une autre source de pression?  C’est dire qu’à 40 ans, tu dois avoir l’air de 30 et pire, te sentir comme si tu avais 10 ans de moins! À l’ère des rencontres sur catalogue, il y a des évidences qui ne trompent pas.  Les hommes qui flirtent avec des femmes de 40 ans et des poussières sont de 15 ans leur aîné. À l’inverse, les hommes quarantenaires espèrent des femmes de 10 ans leur cadette. C’est vrai, c’est vrai, les hommes bandent devant la beauté… Les psys disent que c’est à cause de leur besoin de procréer… C’est donc dire que quand tu vieillis et que tu n’es plus bonne pour faire des bébés, tu pognes avec des hommes plus âgés, ceux qui n’ont plus d’intérêt à procréer de toute façon.

Depuis des années, je me répète que vieillir c’est normal, c’est une évolution, c’est beau. Mauditement beau même… Mais dans cette société en quête constante de bonheur qui voue un amour sans fin à l’esthétisme, j’ai l’impression qu’à mon tour, je vais peut-être flancher, comme  mes amies. Véro s’est fait remonter les pommettes et elle arbore un look vraiment chouette. Caro s’est fait refaire les seins, ça lui va super bien et Marie-Ève n’a plus aucun signe de frustration sur son front. Parler d’injection et de remplissage est rendu aussi commun que de parler de la pluie et du beau temps!  Oui, j’le sens, j’vais flancher… Ce midi, j’ai brandi le drapeau blanc. Bien décidée, j’ai pris le téléphone et j’ai composé le numéro de la clinique dermato-esthétique, puis j’ai raccroché. J’ai appelé une deuxième fois et quand la réceptionniste a répondu, j’ai prétexté m’être trompée de numéro. J’suis sur le bord, j’te l’dis!

Ce soir, la porte verrouillée, maintenant seule dans la salle de bain et face au miroir, je m’observe… Les vergetures, la cellulite, les seins… ouf!, la peau du cou qui ressemble à celle d’un dindon, la petite ride entre les deux yeux… Je pars dans mes pensées… Qu’est-ce qui compose vraiment ma beauté? J’aurais besoin d’entendre Ferland et Desjardins me chanter à quel point j’suis tellement, tellement belle.

Puis, un « toc-toc-toc » me ramène à la réalité… C’est ma fille. « Maman, maman ouvre la porte! J’ai quelque chose à te montrer! » En pleine séance de clavardage, sa copine lui a écrit : « Toi, ta mère est belle.  T’es full chanceuse, plus tard, tu vas lui ressembler… » Un compliment émis par une ado qui ne réalise probablement pas qu’elle est belle comme le ciel… Ça, juste ça, un simple texto et je sens mes pommettes rougir et remonter sans aucun apparat artificiel.  Puis, ma fille étire le bras pour prendre un selfie de nous … Trente secondes plus tard, nous sommes sur Instagram et franchement, oui, qu’on se le dise, on est belles.

N’hésite pas, souris à la femme à côté de toi pour lui signifier qu’elle est belle… Belle telle quelle.

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