Enfance difficile, réussir à pardonner

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À première vue, on ne connaît pas le chemin parcouru par les gens qui nous entourent. La souffrance ne paraît pas toujours dans leur visage. Certaines personnes ont des cicatrices, laissées par des défis de la vie, qui passent inaperçues au premier regard. J’ai longtemps ressenti le besoin d’écrire sur ce sujet, sans jamais toutefois me lancer, car cela implique que je revive, en quelque sorte, des moments ayant causé des blessures profondes provenant de mon enfance, une époque qui aurait dû être remplie de naïveté et de joie. J’écris sous le couvert de l’anonymat, car mon intention est de vous partager mon vécu. Au travers des années, j’ai pris soin de panser ces blessures, en consultant des professionnels. J’ai même réussi à pardonner et à accepter que tout cela faisait partie de qui j’étais devenue aujourd’hui.

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Crédit photo : Pexels

À la maison de mon enfance

J’ai souffert de violence physique et psychologique dans mon enfance, causée par des gens qui auraient dû me protéger. Cela a laissé des marques profondes dans mon âme. J’ai grandi en ne laissant rien paraître (enfin presque rien) au monde extérieur. Étant jeune, si j’avais pu m’effacer, je l’aurais fait. J’ai grandi en ayant en tête l’idée que je n’étais bonne à rien, une moins que rien, qui méritait son sort… mais une petite voix à l’intérieur de moi a toujours résonné en me disant « ça ne peut pas être ça la vie ». C’est cette infime lueur d’espoir qui m’a donné la force de ne pas abandonner le navire. C’est aussi grâce à des personnes clés qui ont croisé ma route, qui m’ont montré d’autres facettes de la vie. Avec leur écoute, leur amour et leur ouverture, j’ai su grandir et prendre ma place.

À l’école de mon enfance

Dans mes classes, je ne prenais pas de place, j’étais hyper timide. J’avais peur de lever la main pour poser une question ou donner une réponse. La période des présentations orales m’angoissait énormément. J’ai fait la paix avec les oraux grâce à une enseignante de français à la fin de mon secondaire. J’avais passé une période des Fêtes excessivement éprouvante et au retour, j’avais une dissertation à remettre, ainsi qu’une présentation orale à livrer sur la lecture d’un livre. J’avais réalisé le travail écrit, mais n’avais pas eu le temps, ni l’énergie pour préparer mon oral. J’ai pris mon courage à deux mains et j’en ai parlé à cette enseignante. Elle m’a tout simplement demandé de venir parler de l’histoire du livre telle que je l’avais comprise. C’est ce que j’ai fait, en toute simplicité, et ce fût ma plus belle présentation orale à vie! À ma grande surprise, j’ai réalisé que si je maîtrisais mon sujet et que j’en parlais, sans apprendre un texte par cœur, tout en ayant une structure à suivre, c’était plus naturel. Je réussissais beaucoup mieux ainsi! J’ai toujours gardé une pensée pour ce professeure qui m’a beaucoup aidé sans le savoir. Il y a de ces gens qui passent dans nos vies et qui laissent des traces profondes, juste au bon moment.

Ce n’est pas une enfance

La relation avec ma mère est complexe. Alors que j’étais jeune, trop jeune, elle m’a confié des fragments de sa propre enfance, qu’on ne devrait pas partager à nos enfants. J’ai pris sur mes épaules des responsabilités qui n’étaient pas les miennes, dont celle de m’occuper de ma fratrie. Il n’était pas question de les voir souffrir comme moi je souffrais. Je suis donc devenue, en quelque sorte, une seconde maman pour palier aux lacunes de nos parents. Aussi, j’ai pris le rôle de sauveuse à un autre niveau, soit pour tenter de protéger ma mère, de devenir sa confidente, de la sauver. Son bonheur reposait sur mes frêles épaules. Elle souffrait profondément, elle parlait de suicide. Comment aurais-je pu faire autrement. En parallèle, elle a aussi menti, beaucoup, souvent, et sur des choses qui sont marquantes, des histoires qu’un enfant ne devrait pas entendre. Elle m’a confié son enfance à elle, ses blessures qui la rongeaient, de sa propre mère qui n’avait pas su la protéger, elle.

Les années ont passé et je suis devenue une adulte. J’ai eu des amis en or qui m’ont permis de constater qu’ailleurs ce n’était pas comme ça la vie; que ce que je vivais n’était pas la norme, que je subissais des choses que je n’avais pas méritées. Je ne vous cache pas comment il est difficile de faire ces constats, mais ce fût pour moi libérateur, en quelque sorte.

Créer à son tour une enfance

Ensuite, je suis devenue moi-même maman et j’ai compris beaucoup de choses. Mais j’ai aussi réalisé à quel point il y a des choses que je ne comprendrai jamais. En tenant mon premier bébé dans mes bras pour la toute première fois, mes larmes coulaient sur mes joues et j’ai pensé: « comment peut-on faire cela à un enfant? » Les larmes me montent aux yeux même en vous partageant cette pensée qui m’a habitée. Je regarde mes enfants aujourd’hui avec un regard d’amour, de bienveillance, de protection. Il m’arrive parfois de les regarder et de me poser cette question à nouveau… comment peut-on s’en prendre à un enfant? Je comprends que quelqu’un puisse souffrir profondément, mais je pense aussi qu’il est possible d’aller chercher de l’aide lorsqu’on se sent dépassé. Je me souviens d’avoir déjà lu quelque part qu’un enfant qui a vécu de la violence avait 50% de chance de reproduire ce qu’il avait vécu et 50% de faire le contraire. L’enfance laisse des traces profondes dans notre être, j’en conviens, mais en devenant adulte, nous avons le choix. Je crois profondément que nous avons toujours le choix.

Mettre son enfance derrière soi

Aujourd’hui, je suis en vie et non plus en survie.

J’ai fait la paix avec mon passé. J’en parle maintenant un peu plus ouvertement, mais pas tout à fait non plus. C’est lourd, j’en suis consciente. Ce n’est pas tout le monde qui a l’écoute et l’ouverture d’accueillir ce partage de bagage non plus, et c’est très correct. Mais ça m’amène parfois à être un peu silencieuse quand vient le temps de partager des anecdotes de notre enfance lors de conversations anodines.

Tout ce que j’ai vécu a fait de moi la personne que je suis aujourd’hui, avec mes forces et mes faiblesses. Je suis une personne sensible, dévouée, protectrice des gens que j’aime, défenderesse de la justice, amoureuse de la vie. Je suis aussi quelqu’un d’anxieux, j’ai l’impression qu’une tuile peut tomber sur ma tête à tout moment (ou presque) alors je suis un peu en mode défense. Je travaille là-dessus, mais je crois que c’est le travail d’une vie.

Revivre

Je remercie la vie pour la famille que j’ai créée, pour mes enfants et pour mon mari. Je remercie la vie pour mes amis, ceux qui ont su faire la différence dans mon cœur, dans les moments les plus difficiles de mon parcours. Je remercie aussi ma résilience, la force d’avoir su m’amener là où je devais aller, de ne pas hésiter à demander de l’aide et d’aller chercher les ressources pour me rebâtir. Je remercie la vie d’avoir amené sur mon chemin mes enfants remplis de joie, de curiosité et de tout ce qui font d’eux qui ils sont. À travers leurs yeux, je vois des choses que je n’ai pas pu voir étant jeune, car quand on est en mode survie, il est difficile de vivre notre enfance comme un enfant se devrait de la vivre. J’apprends des comptines, je dessine, je lis des histoires, j’observe la nature qui nous entoure. Mon cœur d’enfant n’est pas très loin et je crois qu’en quelque sorte, je le nourris en même temps que celui de mes enfants. Sans vivre au travers d’eux, car ce n’est pas non plus ce que je souhaite, je me permets d’ouvrir mon cœur à cette belle naïveté qui vient avec notre rôle d’enfant.

Pour le futur

Mon souhait pour le futur est de pouvoir développer une belle relation avec eux. J’espère être à leurs côtés lorsqu’ils choisiront leurs études, leur carrière. Lorsqu’ils choisiront de fonder une famille, de voyager ou peu importe ce qu’ils décideront. Je souhaite avoir brisé le cycle. Ce n’est pas facile, car mes points de repères sont différents de ceux que je souhaite leur transmettre. Comment peut-on donner ce qu’on n’a pas reçu? Je me suis souvent posé cette question avant d’avoir des enfants. Et maintenant qu’ils sont là, je comprends que je leur donne ce que j’aurais eu besoin de recevoir. Je leur donne tout le bon en moi, dans la meilleure des volontés.

Révision: Caroline Robert

1 COMMENTAIRE

  1. C’est tellement personnel et je peux juste imaginer comment tu t’es sentie en l’écrivant. C’est lourd mais on se sent bien en le lisant. Parce qu’il y a ce côté positif et rafraîchissant de savoir et comprendre que tu as choisi le 50% de chances de ne pas reproduire la même histoire à tes enfants. Et on voit clairement l’amour que tu as bâtie, à partir de rien et d’aucun repère, que tu t’es tellement battue pour ne pas devenir comme ta mère et que tu t’es sacrifiée pour elle et tes frères et soeurs. Tu sais, peut-être qu’ils ne comprendront jamais ou qu’ils choisissent malheureusement un autre chemin, alors c’est vrai que les gens qui t’ont entouré, ton prof, tes amies, ton mari, ont eu combiné ensemble une influence positif dans ta vie. Et que même eux, peuvent dériver vers le mauvais chemin et qui tu as appris à les laisser aller et accepter. Ce qui me touche le plus en lisant ton texte, c’est que tu te permets de vivre cette enfance à travers l’expérience d’être maman, et de découvrir ce qu’un enfant doit ressentir, cette naïveté et l’envie d’apprendre et de s’entourer d’amour. J’en ai les larmes aux yeux, et je suis tellement heureux pour toi.

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