Parce que je ne parviens pas encore à tourner la page. Parce que je considère important, voire utile, de partager ce que j’ai vécu. Parce que j’évoque là un sujet dit « tabou ». Parce qu’il semble rare de lire des cas dramatiques liés à l’allaitement. Parce que les ressources médicales sont faibles dans ce domaine. Parce que mon cas a été qualifié de situation « extra-terrestre », là où les gens compétents étaient sans réponse ou alors essayaient de trouver en vain des solutions alternatives. Il fallait tout simplement accepter le fait qu’arrêter l’allaitement était la meilleure solution pour nous.
Je dis « nous », car il ne faut jamais négliger le rôle du conjoint, dans un cas difficile après la naissance. Il porte deux personnes sur ses épaules. Un nourrisson et une femme atteinte.
Pourquoi accorder autant d’importance à mettre sur papier ce qui s’est passé? Si je peux aider des femmes qui ont connu la même souffrance, alors cela m’aidera à tourner la page plus facilement. Je parviens progressivement à déculpabiliser et à prendre du recul sur tout cet événement qui aura duré 3 longs mois.
3 mois de bonheur, mais 3 mois d’endurance et d’adrénaline pour quelque chose que je n’ai pas souhaité et que je ne souhaite véritablement à personne.
La grossesse puis l’accouchement se sont déroulés sans le moindre encombre. Un petit bébé hyper tonique s’est pointé rapidement, tenant déjà sa tête, à une date tout à fait parfaite! Une grossesse qui s’est passée dans une forme olympique, malgré un gros hiver, l’énergie était au rendez-vous! Bref, un beau nuage rose.
L’allaitement, j’y pensais depuis un petit bout, mais sans jamais me mettre de pression. Pour moi, cela semblait complètement évident et facile. Mes amies avaient toutes allaité, les cours prénataux avaient beaucoup insisté sur ce point avec du positif à 100 %! Allaiter c’est gratuit tout de même! Alors, pas de problème. Mon corps est capable de faire un enfant, mon corps est donc capable de le nourrir. Tellement facile…
Dès sa naissance, notre Poussinette est transférée en néonatalité pendant 6h de temps. Elle a ingurgité trop de liquide et elle est trop petite pour être traitée manuellement. Dès mon transfert en chambre de repos, les infirmières sont à mon chevet: il faut prélever du colostrum, vite! Il faut la nourrir. Je me sens comme une vache qu’on triture, qu’on presse. À l’aide d’une seringue, le tour est joué.
Une fois que l’enfant est de retour dans mes bras, les infirmières sont à nouveau autour de moi. Elles m’aident à placer bébé pour qu’elle tète le colostrum. Et là, douleur, douleur, douleur. Je ne sais que penser. Boit-elle? Oui, son menton bouge, elle boit, tout va bien. Les infirmières partent. Et moi? J’ai mal. En fait j’ai mal partout depuis l’accouchement, mais j’ai surtout très mal aux seins. On m’aide à changer de position, car j’ai beaucoup de difficulté à la placer et à me rendre compte si elle boit (le peu de liquide) ou non.
La première nuit est rude. Les infirmières me reprochent de ne pas avoir réveillé ma fille pour la nourrir. Elle dort.
- Non, non, il faut la réveiller, nourrissez là!
- OK, mais, j’ai mal!
- Non elle boit, c’est bon!
- Mais j’ai mal!
- On vous prescrira une crème. Ça passera. On va vous aider.
On presse fort mon sein et on agrippe sa nuque fortement. Cela me fait mal au cœur de la voir comme cela.
- Vous voyez, elle boit!
- Oui, mais j’ai MAL!
Crevasses et gerçures le premier jour. Douleur douleur… et je continue en serrant les dents. Que faire.
De retour à la maison : les larmes… Sans aide des infirmières, je ne parviens pas à faire boire ma fille comme à l’hôpital. Nous sommes épuisés, nous utilisons un petit biberon de formule toute faite. COUPABLE, je ne dors pas de la nuit. À 5 h du matin j’appelle la famille en catastrophe. J’appelle le CLSC en rush. Une gentille infirmière me remonte le moral, essaye de corriger ma position, me dit que tout va bien aller. La petite boit, mais j’ai MAL.
Grâce au CLSC et une conseillère en allaitement, la crème du docteur Newman tient du miracle. Les crevasses sont moins douloureuses, la prise au sein est meilleure. Soulagement. Si la douleur s’est atténuée, sans pour autant disparaitre, je suis capable de vivre avec. Car je l’ai entendu et compris, seul mon lait est bon pour elle.
Poussinette commence à faire des nuits de plus en plus longues. Et 3 semaines après sa naissance, je me réveille soudainement avec une bosse sur l’extérieur du sein droit. Cette bosse me fait mal. Je ne sais pas ce que c’est. Je regarde sur internet. On appelle cela une mastite. J’appelle le CLSC, on est samedi. Je masse la bosse pendant ce temps-là, car on m’a dit que c’est ce qu’il fallait faire. Lundi, j’arrive au CLSC. La bosse n’est pas belle. On me prescrit des antibios à prendre oralement. Je suis toutes les instructions. Je continue de masser, mais cela fait très mal. Je tombe dans les pommes le lendemain. Je dois aussi m’occuper de ma fille. J’ai froid, j’ai chaud, je transpire, je tremble. Fièvre. Jeudi je reviens au CLSC, la bosse est de plus en plus grosse et me fait horriblement mal. On m’envoie aux urgences sur-le-champ
Là commence le véritable cauchemar…
5 passages aux urgences en 5 jours avec un bébé de 4 semaines. Une clinique d’allaitement de l’hôpital qui a un discours archi cru. « Prends ton bébé aux urgences, attends le temps qu’il faut, et allaite-la au sein gauche, puis tire ton lait à droite ». Les gens aux urgences se renvoient la balle : échographie, car la masse est grosse, attendre, revenir et attendre. Enfin une ponction à la seringue! Insuffisant… la fièvre et la bosse sont revenues. Dernier passage aux urgences, je suis complètement désespérée. Une chirurgienne arrive sur le champ. On ouvre le sein. On doit percer l’abcès avec une incision. Des geysers de lait gris sont sortis. Une sorte de soulagement physique m’a envahie. Ouf, la bosse dégonfle. Je n’ai jamais vu autant de liquide sortir, car ma fille est née avec très peu d’eau dans mon ventre, c’est pour dire! On m’a également administré une forte dose d’antibiotiques sous perfusion.
Commencent ensuite les soins quotidiens au CLSC. Je dois y aller tous les jours pour changer le pansement, tout cela avec ma fille. J’ai une cavité dans le sein droit, c’est moche. Les infirmières désinfectent puis remplacent la mèche. Je dois aussi tirer mon lait à droite (car le sein est malade) et allaiter à gauche à toutes les 3 h. Je me lève aussi chaque nuit, toutes les 3 h, pour répéter l’opération. On m’avait dit que je devais être assez ponctuelle, car c’est un cas rare d’abcès, et je risquais de reproduire la même chose.
Mon pansement était changé tous les jours. Mais le lait passait par la cavité et imbibait le pansement. Je devais refaire le tout moi-même toutes les 2 h. La nuit, il m’arrivait de me réveiller trempée de lait. Draps, matelas…
2 semaines plus tard, une infection prend naissance au sein gauche cette fois-ci. Tension à 7, malaise, étourdissements, angoisse de penser que peut-être mon sein gauche allait être ouvert aussi. Rendez-vous d’urgence en clinique d’allaitement: c’est une belle mastite! Je veux arrêter d’allaiter. Je n’en peux plus. Je n’ai pas de force pour m’occuper de ma fille. « Ah oui? » me répond-on, « quel dommage! » Mais on ne peut pas arrêter d’allaiter d’un coup. Il faut tirer son lait et diminuer la quantité progressivement. Il faut savoir que ma fille a 1 mois et quelques jours. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à me parler de « palais creux ». Le palais creux, après quelques documentations, rend l’allaitement ultra difficile et douloureux. Pourquoi cela n’a-t-il pas été vérifié à la naissance? Oui, ma fille a un palais creux. On a aussi coupé les 2 freins de langue entre temps, rien n’y a fait, sauf une torture pour ma fille.
L’infection au sein gauche a été traitée par antibios. J’ai réussi à faire sortir le lait dans des bains chauds avec du sel d’Epsom. J’ai tiré mon lait pour faire dégonfler les engorgements, mais j’ai aussi tiré mon lait pour stimuler encore plus les canaux lactifères, sans trop être consciente de cela.
2 semaines plus tard, 3ième blocage de canal lactifère, à droite à nouveau. Je reste zen bizarrement. Je ne veux plus d’antibios. Je suis capable de drainer dans l’eau chaude et avec des compresses chaudes/froides. Cette fois, peu de fièvre, 4 jours plus tard cela s’apaise. Je commence à connaître la routine à prendre….
Je n’en peux plus, je suis épuisée. À présent je tire mon lait seulement. Toujours à toutes les 3h et c’est bien important de suivre le protocole de base demandé. J’ai bien trop peur qu’il m’arrive encore quelque chose.
Manque de chance, 3 semaines plus tard (fin juin versus le premier abcès début mai), une nouvelle bosse se manifeste au sein droit. Maudit sein droit. Je le déteste. Je suis arrivée à avoir envie qu’on me le coupe. J’essaye de drainer manuellement plusieurs jours, impossible, la bosse revient. La fièvre commence à apparaître… malgré un passage infructueux aux urgences (car cela s’est produit le week-end), je me dis que le chirurgien qui m’avait ponctionné puis ouvert la première fois, est sans doute disponible.
J’ai un rendez-vous sur-le-champ. Ponctions, ponctions et ponctions. En 3 jours. Cette fois-ci, c’était du lait marron qui sortait. Tant que j’ai du lait, les abcès peuvent se former et ma bosse sur le sein droit ne peut pas diminuer sur le long terme. Quelle solution prendre ? Arrêter de tirer son lait, arrêter tout massacre, arrêter de stimuler les canaux. Vivre enfin sa vie, et dégager les petits engorgements sous la douche. La production de lait devrait diminuer d’elle-même…
Paniquée, je suis son conseil. Entre temps, le chirurgien m’a posé un drain que je peux gérer manuellement. Le drain agit comme une pompe de lait infecté et stocké dans le sein. C’est beaucoup plus agréable, malgré qu’ un peu angoissant, d’avoir le sein relié par un tuyau et une pompe, mais j’en étais là. Une semaine plus tard, on me retire le drain. Plus d’infection, plus de risque. J’ai cessé de tirer mon lait. Je réussissais à dégager le surplus de lait produit à l’aide de douches chaudes. 2 mois plus tard, ma production de lait s’est définitivement arrêtée, me laissant enfin tranquille, mais psychologiquement abattue.
Un bout de temps s’est passé. Le corps a souffert. L’ostéopathie a beaucoup aidé. Et la finalité de tout cela reste qu’un traitement d’acupuncture pourrait améliorer la circulation des liquides dans un corps qui a toujours eu des problèmes à ce niveau-là. Le point le plus positif de toute l’histoire restera l’attitude de ma fille qui a une santé de fer, qui m’a « soutenue » par son dynamisme et ses sourires. Mon conjoint m’a aidée de façon spectaculaire. Sans eux, je n’aurais rien pu faire…
La moralité est de rester à l’écoute de son corps. Une maman ne doit pas souffrir pour nourrir son enfant et les cas graves liés à l’allaitement restent définitivement une épreuve dans le domaine de la médecine.
Merci à Isabelle Fuminier, l’auteure de cet article, mais également une lectrice de Mamans avec opinions. C’est un très bel article. xx – Mélanie Little
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