Il y a trois semaines, le téléphone sonne. Quand l’afficheur indique l’école, c’est rarement pour me jaser de choses frivoles. Comme de fait, c’est ma fille. Elle est en pleurs. À l’école, sa copine a lancé un ultime cri du coeur. En silence, elle a hurlé qu’elle n’en pouvait plus, qu’elle ne voyait plus d’issu. Mes sourcils se froncent, mon regard s’embrouille… Ben voyons, pourquoi? À quarante-six ans, j’ai du mal à comprendre. Comment vais-je trouver les bons mots pour expliquer l’inexplicable à mon ado? J’aimerais tant que mes bras suffisent pour la réconforter, je me sens si mal outillée pour parler de suicide.
Puis, il y a deux jours, le téléphone sonne à nouveau. C’est rendu que lorsque j’entends sa sonnerie, c’est toujours stressant. Les choses anodines entrent par texto. Quand le téléphone sonne, c’est pour annoncer une nouvelle que les pouces ne peuvent communiquer. Comme de fait, la maman du meilleur ami de mon fils m’apprend que ce dernier est à l’hôpital après avoir tenté de s’enlever la vie. Les deux bras me tombent, je m’écrase sur mon divan. Encore! Ben voyons, pourquoi? Ce petit bonhomme que j’ai vu se dandiner en couche, à une époque où il apprenait à marcher, où chaque fois qu’il tombait, il prenait son courage, se relevait et à chaque petit pas vers l’avant, il affichait un sourire toujours plus grand. Je devrai encore trouver les bons mots pour expliquer l’inexplicable. Deux fois, en trois semaines… Je ressens l’urgence de crier à mes ados que le suicide n’est pas envisageable pour arrêter les souffrances insoutenables…
Ce soir, avant de me caler dans mon lit, je passe embrasser mes jeunes pour leur dire que je les aime à l’infini. Couchée, le regard fixé au plafond, je réfléchis. Ça me sert en dedans… Un vent de panique m’envahit. Et si les miens n’étaient pas à l’abri? Le suicide… n’est-ce pas quelque chose qui n’arrive qu’aux autres? Qu’à ceux sur qui le malheur s’acharne? Semblerait-il que non. Depuis 2015, à l’Hôpital de Montréal pour enfants, les visites à l’urgence pour tentatives de suicide ou pensées suicidaires ont augmenté de 55%… 55%!!! C’est comme si le suicide était rendu une simple option de plus parmi toutes les solutions. À mon tour, j’ai envie de lancer un cri du coeur… Ça me fait tellement peur!
Mais qu’est-ce qu’on n’a pas compris? Où l’avons-nous échappé? Qu’est-ce qu’on a oublié de leur inculquer? Ne leur a-t-on pas assez donné? Ou peut-être trop? De plus en plus de jeunes passent à l’action, mais pour quelles raisons? Leur mode de vie, leurs valeurs, leur cadre éducationnel, leur perception du temps, leurs outils de communication? J’essaie de cerner les enjeux du mieux que je peux en espérant comprendre ce qui cause leur mal de vivre…
La valeur du temps
Qu’y avait-il de différent quand j’étais jeune? Internet… Facile de mettre le blâme sur la technologie. Elle a le dos large la pauvre. Pourtant, le petit sablier qui marque le temps sur l’écran n’est pas si anodin qu’il en a l’air… Et si la technologie avait donné une nouvelle dimension au temps? Cette ressource précieuse qui laisse retomber la poussière et qui guérit les blessures. Ce temps qu’on voudrait parfois arrêter pour savourer le moment…
Au secondaire, je passais des heures à la bibliothèque à chercher l’information, à séparer le mauvais du bon. Mes ados travaillent fort aussi pour réussir, à leur façon, avec ce qu’ils ont. Depuis qu’ils sont tout petits, ils tapent un mot-clé sur Google pour recevoir, en quelques secondes, une tonne d’informations déjà prémâchées. Ils font l’effort de chercher avec les outils, qu’ils leur sont présentés. J’aurais fait pareil si j’avais pu! Faire une recherche en quelques minutes plutôt qu’en trois jours… Je ne peux leur en vouloir de se fâcher contre le petit sablier sur l’écran quand celui-ci tourne un peu trop carré. Dans le même ordre d’idées, quand je voulais parler à mes amis, c’était parfois long, je savais ce qu’était l’ennui. Mes ados communiquent par vidéo à la minute où ils en ont envie. À l’époque, suivre une série demandait une saison, une vraie… Aujourd’hui, une saison peut se résumer en une nuit.
Quand nos jeunes ont le moral dans les talons, qu’ils vivent des défis ou des épisodes de dépression, on leur dit que les choses vont finir par s’arranger, qu’il faut laisser le temps au temps… Nous sommes-nous arrêtés pour analyser leur perception du temps? Ils sont nés à l’ère de l’efficacité, de la rapidité, des résultats immédiats… Habitués de comparer le temps au sablier qui tourne sur l’écran, je peux comprendre que nos jeunes soient dépassés quand on leur dira que ça prendra six mois, une année ou cinq ans pour guérir un mal à l’âme, pour obtenir un diplôme… Pour eux, c’est une éternité! À leur place, je serais découragée… Bien trop long pour persévérer… Une montagne qui leur semble impossible à monter. Il serait plus simple de tout abandonner…
Et si on changeait le message relatif au temps après lequel on court interminablement? Toutes ces facilités, en réalité, nous font gagner du temps. Peut-être faudrait-il voir l’efficacité des nouvelles technologies comme une richesse à utiliser à bon escient puisqu’elle rend davantage possible le partage de bons moments avec ceux qu’on aime?
Le cerveau bombardé
Qu’arrive-t-il à notre voiture quand on roule sans cesse, la pédale dans le fond? Le moteur surchauffe, il fait des soubresauts, on se place en retrait, on fait une pause pour que rien n’explose.
Dès leur plus jeune âge, on garde nos enfants occupés. Toutes les demi-heures, on change d’activité pour favoriser le développement moteur. À trois ans, on leur apprend l’alphabet, on les inscrit au piano. En vacances, on cherche des jeux qui éveillent la curiosité et lors de trajets trop longs en voiture, on leur propose un film pour éviter les situations comme « on es-tu arrivé? ». À l’école, on travaille dans le bruit et au retour à la maison ça se poursuit, à l’adolescence parfois jusqu’à minuit même un mardi! Des sports tous les soirs, on comprime le temps pour les devoirs, on manque de temps pour se voir…
Avec les stimulus omniprésents, notre cerveau fonctionne constamment, la pédale dans le fond, en prenant soin de s’en faire pour des choses qu’on ne verra probablement jamais arriver. On roule ainsi sur l’autoroute de l’anxiété à une vitesse telle, qu’on ne voit même plus la voie d’accotement essentielle pour se reposer. Et si tous ces stimulus permanents faisaient augmenter la pression, surchauffer notre cerveau, comme le moteur d’une auto? Quand ça surchauffe sous le capot, on s’inquiète, on a peur que notre voiture rende l’âme. On en prend soin et on fait ce qu’il faut. Pourquoi ne traite-t-on pas notre cerveau de la même façon? Pourquoi attendre l’impardonnable, la dernière seconde, quand une personne sent que c’en est trop? Pourquoi attendre que notre cerveau explose pour lui accorder une pause?
C’est à croire que notre société accorde plus d’importance au métal qu’au moral… Pensons-y, est-ce ce qu’on souhaite?
Copier-coller les modèles
Dans une société où les valeurs sont éclatées, avec une génération qui cherche ses repères, nos jeunes, depuis le berceau, s’accrochent à l’éphémère. Omniprésents sur les réseaux sociaux, ils doivent constamment afficher la plus belle version d’eux-mêmes, avec leurs photos qui prennent une orientation artistique, leurs pensées qui sont des copies de belles lignes poétiques et leurs achats qui démontrent leur pouvoir et ça va plus loin que le pouvoir économique, au risque de devenir la risée de l’heure. Imagine la pression qu’ils ont!
Ont-ils les outils nécessaires lorsqu’ensuite, ils doivent essuyer une forme de rejet s’ils n’ont pas assez de like? Sont-ils assez solides émotionnellement à 12 ou 16 ans pour digérer les commentaires de tout un chacun? En classe comme partout d’ailleurs, c’est connu, certains refusent de s’avancer de peur de devenir la risée d’une classe, d’une école, d’une ville… Toutes leurs maladresses sont captées instantanément et publiées sur le champs. La marge d’erreur est mince…
Et moi, comme modèle, qu’est-ce je projette? La meilleure version de moi-même, je me l’impose aussi… Pourquoi vouloir paraître comme une mère parfaite, qui médite tous les jours et qui achète des repas à assembler pour se faire croire qu’elle se donne à cuisiner? Celle qui a toutes les qualités et même l’humilité de crier haut et fort : « je suis imparfaite et je l’accepte! » Bull shit! Si c’était vrai, cette même mère ne boirait pas son vin dans une coupe sur laquelle est écrit à boute de toute. Quand ils voient leurs parents qui s’efforcent d’être parfaits, les jeunes comprennent que ça ne finira jamais… Ont-ils la colonne assez solide pour entretenir cette image aussi longtemps sans jamais faillir?
Peut-être que si nous, les modèles, nous focalisions davantage sur l’être au lieu du paraître, il y aurait moins de distorsion. Nos jeunes ne se mettraient pas la pression de présenter la meilleure version, mais plutôt la version la plus authentique d’eux-mêmes.
La communication n’est pas qu’une question d’expression
On valorise l’expression orale comme si c’était la solution à tout. Plus on parle, mieux c’est… On s’évertue à dire les vraies affaires à nos enfants, avec des mots d’adultes pour ne pas les infantiliser. Ces mots qu’ils sont trop jeunes pour saisir parce que justement, ils ne sont pas des adultes! Nos jeunes ont un compte Facebook à 8 ans et défilent l’actualité, parfois fausse, souvent exagérée… Ils sont témoins de ces mots qu’on dit tout haut et qui sont parfois de trop, comme ces commentaires souvent vides de sens sur les réseaux sociaux. Leur avons-nous enseigné comment relativiser, user de discernement et extraire le mensonge de la vérité? Avons-nous oublié de leur inculquer la valeur des silences, la nécessité de prendre du recul, l’importance de peser les vrais maux avant de répondre avec des GIF, des pouces ou des mots vomis sans retenue?
Malgré nos efforts, nous sommes forcées d’admettre que les adolescents demeurent des adolescents… Ils préfèrent s’isoler dans leur chambre, se taire pour ne pas avoir à se défendre. S’ils ne nous parlent pas, on lancera le fameux: « il ne veut pas parler, tant pis, ça lui appartient », comme si ces trois derniers mots nous donnaient le droit de nous en laver les mains. Pourtant, s’exprimer, c’est un ensemble de petits gestes, de silences, de mots simples et bien choisis que tout notre corps prononce en harmonie…
Je me rends bien compte que je leur ai martelé l’importance de s’exprimer, comme si la communication était un one-way. De mon côté, ai-je appris à vraiment écouter? Quand mon fils me parle et que le téléphone sonne, je réagis sans même penser… « S’cuse-moi, il faut que je réponde! » N’est-ce pas comme lancer le message qu’au bout du fil, il y a peut-être quelque chose de prioritaire à notre discussion? Récemment, alors que ma fille me parlait au salon et que l’image des récentes inondations est apparue, mon regard s’est dirigé vers l’écran et spontanément j’ai dit: « c’est effrayant! » Et je n’enlève rien au malheur des autres, mais ce que ma fille me disait était, pour elle, très important. Peut-être même plus effrayant…
On connait tous quelqu’un qui observe en silence, qui parle peu, mais quand il le fait, tout le monde l’écoute avec attention parce qu’il mise sur la qualité. Peut-être devrions-nous apprendre de lui…
La mort devrait nous rassembler
Avec nos jeunes, on jase de politique, on spécule sur les attentats, on partage nos visions économiques, mais quand vient le temps de parler de la mort, on entend : « on ne parle pas de ça ok? Ça me déprime ». Comment apprendre sur quelque chose d’inconnu quand on évite le sujet?
Pourtant, dans ce monde souvent divisé, s’il y a une préoccupation qu’on a tous en commun, c’est bien la mort. Pourquoi ne pas en parler? Si on le faisait, on se dirait pourquoi on en a peur, pourquoi trouve-t-on ça horrible. On comprendrait pourquoi on tient tant à ceux qu’on aime, pourquoi on ne veut pas s’en séparer… On signerait un pacte pour avancer ensemble contre vents et marées. On se ferait une promesse de toujours s’entraider, s’encourager, ne jamais se laisser tomber parce que la mort, c’est imposer une séparation, c’est laisser les vivants en plan et quand on sait que quelqu’un tient à nous et qu’on l’aime, on comprend que c’est impensable!
Face à la mort, notre job, c’est de la déjouer, de rire à gorge déployée, de pleurer et de faire ce qu’il faut pour foncer malgré les difficultés, de rebondir et d’aimer sans compter… Parce que c’est tout ça la Vie! Celle dans laquelle on aura appris avec les bas et on aura vibré avec les hauts. Celle qui pardonne et qui nous donne autant de chances de nous accrocher que de fois qu’on est tombé. Celle qui aura donné écho à nos rires, qui nous aura couverts de frissons. Celle dans laquelle on aura mordu, celle pour laquelle on se sera battu.
À force de réfléchir, je comprends davantage les multiples balles avec lesquelles les jeunes doivent jongler et pourquoi il n’est pas permis d’en échapper… Ai-je terminé ma réflexion? Oh que non! Il faudra beaucoup plus de réponses pour combattre ce fléau. Le suicide, c’est la mort qu’on a décidé de précipiter sans avoir donné le temps à la vie de nous prouver que ça vaut la peine de s’accrocher. Le suicide, c’est transférer le vide qu’on a en dedans à ceux qu’on laisse en plan.
Une chose que je sais, c’est que mieux on comprend, plus on est en mesure d’agir pour aider ceux qu’on aime. À l’heure d’écrire ces dernières lignes, je suis assise à l’urgence avec mon ado qui a le mal de vivre… Quel bel adon d’avoir posé cette réflexion quelques jours auparavant. J’ai pu lui poser les bonnes questions, discuter des vraies affaires en étant assis dans une salle d’attente sans flafla; un moment presque béni… Il comprend que le suicide n’est pas une option parmi les solutions. Si tu connais quelqu’un qui t’inquiète, ose lui en parler, ne passe pas par quatre chemins. Demande-lui : « As-tu l’intention de t’enlever la vie? » BAM! Direct de même! Et si tu as besoin d’aide, compose le 1-866-appelle.
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Révision: Annie Fournier